Pourquoi mon inconscient (ou mon sur-moi, ou mon égo, ou mon juge interne, ou mes saboteurs... peu importe le nom que vous lui donne), pourquoi cette injonction remonte en moi : "Ton foie souffre, tant mieux. Tu vas en tirer bénéfice. Tu vas maigrir, tu vas enfin rentrer dans le moule".
Mais quelle drôle d'idée (pour ne pas dire débile) de croire que souffrir est normal et positif !
Et qu'est-ce qui m'a mis ça en tête ? toutes ces petites phrases de mon enfance ?
"Faut souffrir pour être belle." Mais maman, je m'en fous d'être belle, c'est tellement éphémère, je préfère être intelligente, ça dure plus longtemps.
"Ah ben tu ne te fais pas souffrir toi !". Ben, non maman, quelle drôle d'idée ! Pourquoi je me ferai souffrir ? Pourquoi ne pas se faire plaisir ?
"Quand on veut on peut." Mais papa, des fois, on ne peut pas. Tout ne dépend pas que de moi.
"Faut en payer le prix." parce qu'"On n’a rien sans rien." Ah bon, il faut que je paie de ma personne ? La vie est une peau de chagrin alors ?
"C'est normal de souffrir quand on est une fille. Faut t'habituer. C'est comme ça c'est la vie."
Là y'a maldonne ! Pourquoi les femmes doivent souffrir ? Oui, je sais, la nature nous rappelle tous les 28 jours qu'on est une femme en âge de procréer et ce n'est pas toujours sans douleur. Et l'accouchement sans douleur c'est tellement nouveau (à l'échelle de l'humanité) que certains pensaient encore il n'y a pas longtemps qu'il FAUT enfanter dans la douleur. Et l'allaitement ? On en parle des douleurs de l'allaitement quand le bébé tire de toutes ses forces et que des crevasses se forment ?
Tout cela en punition de la "faute" d'Eve qui déroba le fruit de la connaissance ? Ne finira-t-on jamais de racheter la faute de Eve l'éveillée ? celle qui a pris la décision (bonne ou mauvaise, mais elle a tranché contrairement à Adam) de nous ouvrir à la connaissance, celle qui a fait de nous des humains. Sans elle, nous serions encore des primates dans nos arbres.
Eve la femme, le serpent. La fée serpent : la vouivre. La fée bâtisseuse à queue de serpent : Mélusine. Mais elles, les légendes les dispensent de souffrir.
"C'est normal que vous souffriez parce que vous êtes plus résistantes que les hommes. Un homme ne supporterait pas tout ça. La preuve, vous vivez plus longtemps que nous. "
Alors là, je demande des preuves scientifiques. A mon avis, les femmes meurent plus tôt que les hommes dans les mêmes conditions (pas de guerre, alcool, tabac, stress, pression ... ). On verra bien dans une ou deux générations ... à condition qu'on arrive à l'égalité homme-femme ...Non, je ne crois pas que les femmes soient plus résistantes que les hommes ! Non, elles ne meurent pas plus vieilles dans les mêmes conditions de vie.
Pour paraphraser Coluche (on nous prend pour des cons et on voudrait qu'on soit intelligent ; mais comment qu'on ferait alors ?), je dirais : On nous prend pour le sexe faible et on voudrait qu'on soit plus résistantes ? Mais comment qu'on ferait alors ?
Je voulais tout sans ordre de priorité : l'amour, les enfants, le boulot, les activités extraprofessionnelles. Alors j'en paierais le prix fort ! Je me sens frustrée, lésée, trahie. J'ai cru pouvoir tout consilier. On m'a fait croire que c'était possible. Mais être une super-woman ne dure qu'un temps (comme la beauté ?)
Non non non et non. Être une fille ne nous condamne pas à souffrir.
Mais au nom de quoi a-t-on pu me fourrer cette idée dans la tête ? Et pourquoi ne l'ai-je pas remise en question comme tant d'autres ?
Peut-être était-elle juste sous entendue, tellement insidieuse que je n'y prêtais pas attention. Et certainement colportée par plusieurs personnes en qui j'avais confiance, mes parents entre autres, mais aussi les émissions télévisuels, les copains ... Je ne leur jette pas la pierre. Ils ont eux-mêmes été influencés par des petites phrases comme "il y a assez de femmes ici. Tu n'as pas besoin de faire la vaisselle".
Mais quels dégâts cette croyance peut provoquer ! Je pense aussi aux anorexiques et toutes celles qui croient que pour être une femme il faut se faire belle avant de sortir, s'appliquer tous les matins plusieurs couches de cosmétiques, s'habiller comme une bombe sexuelle ...
Je me suis assez moqué du miroir magique de ma fille qui lui serinait "Fais toi belle" que nous traduisions par "fais toi pelle", pour ne pas lui transmettre ce diktat (vive la dyxlexie qui déforme les diktats !). Pourtant, les parents se sont pas les seuls à influencer leurs enfants. La société y est pour beaucoup. A l'adolescence, ma fille m'a même soutenu que certains métiers étaient des métiers d'homme alors que j'étais un contre-exemple au quotidien !
Il y a tellement de façon d'être féminine, le maquillage d'accord si on y prend du plaisir, les cheveux, les ongles, les chaussures, les fringues, le parfum, les bijoux ... C'est à chacune d'inventer sa féminité. Il y en a pour tous les goûts et c'est heureux.
J'avais déjà refusé de
- m'épiler (aie ouille),
- me maquiller,
- porter des talons (qui tordent les chevilles et laissent mes pieds blessés),
- de marcher à petits pas alors que j'ai des jambes d'échassière,
- suivre des régimes alimentaires (sauf suivi médical),
- porter des habits étriqués qui gênent mes mouvements (chemises vestes ...),
- de souffrir lors de l'accouchement
J'ai gardé mes cheveux longs et les ai patiemment démêlés pour le plaisir (si, si, j'en ai déjà parlé ici),
J'ai gardé mes ongles longs et parfois vernis.
J'ai porté des collants et des jupes quand j'avais envie de me déguiser en fille.
J'ai porté des bijoux et des sacs à main (de préférence dans mon dos pour gagner en mobilité).
Et jamais on ne m'a pris pour un homme, preuve que la féminité n'est pas dans les artifices.
J'ai refusé ces diktats et pourtant au fond de moi, je continue à me dire c'est normal de souffrir. C'est bien de souffrir comme ça je vais maigrir.
Ben non. Ce n’est pas un but dans la vie de souffrir. Ça n'apporte rien.
Et croyez en mon expérience, ça ne rend pas plus humain de souffrir. Ça nous met les nerfs à vif et ça nous rend plus agressé, moins patient et moins ouvert aux autres. Tout le contraire de ce qu'on nous promet.
Sois belle et tais toi !
Non, je ne veux pas me taire et je m'en fous d'être "belle" si je suis bien dans ma peau, dans mon corps et dans ma tête. La beauté est si éphémère et subjective. À quoi bon courir après ? Et d'abord c'est quoi la beauté ? N'est ce pas subjectif ?
Tant pis je resterai une mocheteuse.
Une vieille chanson de téléphone (J'sais pas quoi faire) me revient en tête : "je n'ai pas ma place où on me laisse de la place. Des fois ça passe mais des fois ça lasse ou ça casse [...]
Le passé est dépassé, le futur est bien bouché. Le présent laissez-nous l'aimer, s'il vous plait, s'il vous plait."